Opus Incertum Wandrille Duruflé

28 | 02 | 19

Une (in)certaine mélodie de l’architecture

Mars / Avril 2019

+ Performance de l'artiste Remi Voche en hommage à la "Danse des balais" du Bauhaus pour le vernissage de l'exposition

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Opus – Telle une introduction ou les premières notes d’une composition, le titre ouvre les perspectives d’une exposition. Il pose les bases, construit les fondations, de ce que le visiteur va découvrir avec incertitude – Incertum.

Pour le latiniste ou l’amateur d’architecture, opus incertum fait référence à un type d’assemblage classique, en pierres de tailles et de formes diverses. Dans l’exposition, Wandrille Duruflé fait honneur à cette multiplicité par le biais des techniques (dessin au feutre, sérigraphie, installation), des couleurs (par un savant mélange de teintes froides et chaudes, saturées) et des gestes (aplats, pointillisme/pixelisme, découpe, collage, taille directe, etc.). Pourtant chaque élément répond aux autres et participe de la construction d’un tout, une nouvelle suite de moellons dans l’histoire déjà riche de la station.

Dès la vitrine d’entrée, la référence à son activité principale est explicite par une installation composée de quatorze skis (Palissade, 2019). Coupés aux extrémités pour gommer leur fonction et mettre en avant leur forme, ils sont peints de différentes couleurs, dans une gamme relativement pauvre mais présentant une série d’accords que l’on retrouvera par la suite. C’est ainsi que l’artiste minimise leurs différences tout en créant un ensemble hétérogène, un appareil irrégulier symptomatique des multiples niveaux de pratique du ski et des différentes strates culturelles de la station.

 

Il en est de même avec les motifs choisis pour les douze dessins au feutre. Wandrille Duruflé fait alterner (ou cohabiter) les architectures emblématiques de Marcel Breuer telles que « le Flaine » ou « La Chapelle », avec les objets dessinés par ce même maître du Bauhaus comme l’ascenseur ou le lustre, mais aussi les éléments fonctionnels de la station comme un pylône de remontée mécanique ou un filet de protection. Dans le travail de Duruflé, les qualités qu’il reconnaît aux architectures, aux constructions ou aux matériaux divers, reposent moins sur leur histoire ou leur préciosité que sur leurs qualités physiques et plastiques, leurs formes, leurs couleurs, leur esthétique. S’ils n’ont pas la même valeur, ils sont tous considérés au même niveau, en tant qu’objet pensant. À cela s’ajoute, pour Opus Incertum, une cohérence plastique des douze dessins qui provient d’un même traitement numérique de l’image. Le procédé consiste en une photographie prise par l’artiste qui est ensuite retravaillée par le biais d’un logiciel permettant de donner un effet de déstructuration, de déconstruction, nommé glitch pour « pépin » ou « défaillance ».

Les couleurs sont ensuite modifiées et saturées numériquement. La technique utilisée pour le passage au support papier accentue encore ces deux effets de par l’imprécision du dessin et l’utilisation de feutres acryliques rendant impossible l’exactitude – Opus Incertum.

Deux types de volume cohabitent également dans l’espace. Dans la plus petite des vitrines, une construction de cartons découpés au laser et ornementée au feutre, développe une architecture potentielle. Il s’agit d’un jeu de construction pensé par l’artiste à partir d’une simple plaque de carton. À la manière d’Alma Siedhoff-Buscher (1) qui proposa en 1924 un jeu pour enfant pour la maison Am Horn, Wandrille Duruflé développe ici une série de formes pouvant s’emboîter et ainsi structurer un espace par ses lignes et ses couleurs. Dans Opus incertum, le jeu peut donner le sentiment qu’il est une maquette des deux installations (Grande Forme, 2019) présentées. Pourtant, l’artiste dépasse cette fonction en éloignant les deux réalisations par l’importance du geste de la main et de l’outil. Une attention particulière portée aux panneaux de bois qui composent les structures permet de voir les imperfections de la découpe et les lignes sinueuses dans lesquelles notre œil se balade. Les couleurs des plaques et les traces des outils viennent composer les images en retirant de la matière et en donnant à voir le matériau même. Ils fonctionnent alors comme les réserves de blanc avec lesquelles Duruflé s’amuse dans ses dessins : un rehaut de lumière tout autant qu’une mise en avant du support. Nous retrouvons là encore une référence à l’architecte Marcel Breuer qui en 1969 choisissait de laisser apparent les inexactitudes dues au système de coffrage du béton, révélant par la même occasion le mode de construction et les propriétés plastiques du matériau, donnant à voir les notes, les accords mais aussi les jeux dans l’interprétation de son incertaine mélodie architecturale.

Anthony Lenoir – Mars 2019.

1) Alors élève au Bauhaus, Alma Siedhoff-Buscher est invitée à proposer une chambre pour enfant. Elle s’inspire alors des nouvelles pédagogies pour fabriquer une série de jeux. Dans le même temps, Marcel Breuer travaille sur le mobilier de la maison expérimentale Am Horn.

Le site Internet de Wandrille Duruflé 

 

Le site Internet de Rémi Voche

 

 

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