L'UTOPIE DE FLAINE: PORTRAIT DE MARCEL BREUER
17 | 06 | 20
La rencontre avec Eric et Sylvie Boissonas
Outre-Atlantique, Eric et Sylvie Boissonnas sont sensibles aux courants architecturaux de l’avant-garde américaine, qu’il s’agisse de Marcel Breuer, Richard Neutra, Philippe Johnson, Mies Van der Rohe ou Rudolf Schindler. Ils confient d’ailleurs la réalisation de leur maison au Cap Bénat à Philip Johnson qui, comme Marcel Breuer, habite leur quartier à New Canaan dans le Connecticut. Dès le début de son projet, Eric Boissonnas pense à Marcel Breuer pour dessiner la future chapelle œcuménique de Flaine. Il admire « son talent, sa manière de se remettre constamment en question, son aptitude à voir aussitôt le parti qu’il pouvait tirer d’une nouvelle technique, et aussi, très important, son contact humain plein de chaleur qui devait rendre possible sa coopération avec les architectes urbanistes français.» E. Boissonnas, Ibid.
L'Utopie de Flaine: Le créateur, architecte en chef de l’opération.
Marcel Breuer (1902-1981)
Marcel Lajko Breuer est né à Pécs en Hongrie. A 18 ans il obtient une bourse pour étudier à l’Académie des beaux-arts de Vienne mais choisit rapidement de suivre les cours moins académiques de la nouvelle Ecole supérieure d’art du Bauhaus en Allemagne dirigée par l’architecte Walter Gropius. En 1925, ayant terminé son apprentissage, il séjourne à Paris puis retourne au Bauhaus comme « jeune maître » et dirige l’atelier de menuiserie. Outre la peinture et sa recherche sur les systèmes modulaires de préfabrication pour l’architecture, il explore un nouveau type de mobilier en tubes d’acier dont la chaise flexible et le célèbre fauteuil Wassily (en hommage à Kandinsky qui enseigne au Bauhaus), édité par Thonet. En 1927 il crée à Berlin une entreprise pour commercialiser ses meubles qu’il souhaite produire en série et, quittant le Bauhaus l’année suivante, y ouvre son propre bureau d’architecture. Mais l’Allemagne est en pleine crise économique ; ses projets et les concours auxquels il participe n’aboutissent pas. Il gagne sa vie en aménageant des intérieurs d’appartements et poursuit sa recherche sur les métaux utilisés pour le mobilier. L’année 1931 est consacrée à la découverte en voiture du sud de l’Europe et du Maroc, il reçoit aussi ses premières commandes de maisons individuelles. En 1933 il quitte l’Allemagne et installe un bureau à Budapest avec deux confrères, puis deux ans plus tard, il émigre à Londres et ouvre un bureau avec l’architecte F. Yorke. Ses meubles en contreplaqué sont diffusés par la Sté Isokon, il poursuit sa recherche sur la cellule d’habitation, et surtout il construit ses premiers ouvrages en béton dont la forme en Y et les matériaux préfabriqués annoncent ses travaux futurs.
En 1937, Walter Gropius l’invite à le rejoindre aux Etats-Unis pour donner des cours à l’Ecole d’architecture de l’Université de Harvard, près de Boston où il va enseigner pendant près de 10 ans. Parallèlement, il dirige durant 4 ans un bureau d’architecture avec l’ancien maître du Bauhaus, ils réalisent une dizaine d’immeubles, expérimentant des solutions simples et une esthétique technologique. Le mode de construction des maisons américaines en ossature bois (balloon frame) l’intéresse particulièrement, il le fait évoluer avec sa propre approche. Poutres porteuses, larges ouvertures et porte- à-faux, granite et ardoise prennent place dans ses réalisations. En 1946, il quitte Harvard et s’installe à New-York. Son style plaît, il réalise beaucoup de maisons d’habitation ; en 1948 il crée une maison modèle pour le Museum of Modern Art (MoMA). Marcel Breuer a alors une maison dans le Connecticut, dans le même village qu’Eric et Sylvie Boissonnas, des liens d’amitié se tissent. A la fin des années quarante, il oriente son travail vers les grands ensembles de logements, sujet qui l’a toujours passionné, ainsi que des bâtiments publics et industriels. Sa recherche sur la préfabrication du béton est très aboutie : moulage en trois dimensions, façades en creux et saillies, variations de lumière et rythmes sont là, déjà. Sa notoriété est internationale ; dans son agence de New-York –MBA- il s’entoure dans les années 53/54 de Herbert Beckhard, Robert F. Gatje et Hamilton Smith. (Tician Papachristou les rejoint en 1965).
En 1960, les Boissonnas font découvrir le site de Flaine à Marcel Breuer, c’est la seule station de sports d’hiver qu’il réalise, il y travaille jusqu’à ce qu’il cesse son activité en 1977, tout en poursuivant d’importants projets en Europe et aux Etats-Unis. Le 30 novembre 1960, Marcel Breuer est définitivement choisi par le groupe Boissonnas. Dans l’hélicoptère qui le conduit pour la première fois à Flaine, il dira : « Quel site admirable ! Comment ne pas le gâter ? » E. Boissonnas, Ibid.